Panurge, un familier. Avoir toujours entendu parler de lui et de ses moutons, une histoire souvent reprise en famille. Rabelais, ce serait plus tard, plus tard aussi la surprise de découvrir que les moutons se noyaient en mer et non dans une rivière.
moutons, et introduction aux moutons
Gloire à Rabelais, devenu expression populaire avec les moutons de Panurge : qui pourtant jamais ne furent siens.
Un texte farce, un texte cruel : noyade et pas que d’un seul, on achève les survivants.
Alors grand plaisir même pour moi à le reprendre, sa construction, ses registres, ses jeux dialogiques – chez Rabelais, les fous et les naïfs sont souvent le lieu de la performance textuelle, bien avant les protagonistes officiels que sont Panurge, Pantagruel et les autres.
Alors hommage à Dindenault, marchand – et cette page pour que vous puissiez écouter avec sous-titrage. Je ne crois pas avoir jamais lu ce chapitre en public, l’enregistrement ici fait à voix nue en 2007 (autres textes du Quart Livre à voix haute ici).
Claude Ponti avait illustré ce texte en 1994, pour Comment Pantagruel monta sur mer (2500 exemplaires vendus, le reste pilonné six mois plus tard, Hatier allait mal – vendus juste ensuite, ça ne leur a pas porté bonheur). (...)
Comment Panurge feist en mer noyer le marchant & ses moutons.
Chapitre VIII.
Soubdain, ie ne sçay comment, le cas feut subit, ie ne eu loisir le consyderer. Panurge sans autre chose dire iette en pleine mer son mouton criant & bellant. Tous les aultres moutons crians & bellans en pareille intonation commencèrent soy iecter & saulter en mer après à la file. La foulle estoit à qui premier saulteroit après leur compaignon. Possible n’estoit les en guarder. Comme vous sçavez estre du mouton le naturel, tous iours suyvre le premier, quelque part qu’il aille. Aussi le dict Aristoteles lib. 9. de histo. animal. estre les plus sot & inepte animant du monde. Le marchant tout effrayé de ce que davant ses yeulx perir voyoit & noyer ses moutons, s’efforçoit les empecher & retenir tout de son povoir. Mais c’esttoit en vain. Tous à la file saultoient dedans la mer, & perissoient. Finablement il en print un grand & fort par la toison sus le tillac de la nauf, cuydant ainsi le retenir, & saulver le reste aussi consequemment. Le mouton feut si puissant qu’il emporta en mer avecques soy le marchant, & feut noyé, en pareille forme que les moutons de Polyphemus le bogne Cyclope emportèrent hors la caverne Ulyxes & ses compaignons. Autant en feirent les aultres bergiers & moutonniers les prenens uns par les cornes, aultres par les iambes, aultres par la toison. Lesquelz tous feurent pareillement en mer portez & noyez miserablement.Chapitre VIII.
Panurge à cousté du fougon tenent un aviron en main, non pour ayder aux moutonniers, mais pour les enguarder de grimper sus la nauf, & evader le naufraige, les preschoit eloquentement, comme si feust un petit frère Olivier Maillard, ou un second frère Ian bourgeoys, leurs remonstrant par lieux de Rhetoricque les misères de ce monde, le bien & l’heur de l’aultre vie, affermant les plus heureux estre les trespassez, que les vivans en ceste vallée de misère, & à un chascun d’eulx promettant eriger un beau cenotaphe, & sepulchre honoraire au plus hault du mont Cenis, à son retour de Lanternoys : leurs optant ce néant moins, en cas que vivre encores entre les humains ne leurs faschat, & noyer ainsi ne leur vint à propous, bonne adventure, & rencontre de quelque Baleine, laquelle au tiers iour subsequent les rendist sains & saulves en quelque pays de satin, à l’exemple de Ionas.
La nauf vuidée du marchant & des moutons, Reste il icy (dist Panurge) ulle ame moutonnière. Où sont ceulx de Thibault l’aignelet ? Et ceulx de Regnauld belin, qui dorment quand les aultres paissent ? Ie n’y sçay rien. C’est un tour de vieille guerre. Que t’en semble frère Ian ?
Tout bien de vous (respondit frère Ian Ie n’ay rien trouvé maulvais si non qu’il me semble que ainsi comme iadis on souloyt en guerre au iour de batauille, ou assault, promettre aux soubdars double paye pour celleuy iour : s’ilz guaignoient la bataille, l’on avoit prou de quoy payer : s’ilz la perdoient, c’eust esté honte la demander, comme feirent les fuyars Gruyers après la bataille de Serizolles : aussi qu’en fin vous doibviez le payement reserver. L’argent vous demourast en bourse.
C’est (dist Panurge) bien chié pour l’argent. Vertus Dieu i’ay eu du passetemps pour plus de cinquante mille francs. Retirons nous, le vent est propice. Frère Ian, escoutte icy. Iamais homme ne me feist plaisir sans recompense, ou recongnoissance pour le moins. Ie ne suys point ingrat, & ne le feux, ne seray. Iamais homme ne me feist desplaisir sans repentence, ou en ce monde ou en l’aultre. Ie ne suys poinct fat iusques là.
Tu (dist frère Ian) te damne comme un vieil diable. Il est escript, Mihi vindictam, & caetera. Matière de breviaire.
Le Quart livre : extrait « Les moutons de Panurge » François Rabelais (version adaptée, Lelivrescolaire, 5ème).
Les moutons de Panurge
Soudain, je ne sais comment cela se produisit, je n’eus pas le loisir de le considérer, Panurge, sans dire autre chose, jette en pleine mer son mouton criant et bêlant. Tous les autres moutons criant et bêlant sur le même ton commencèrent à se jeter et à sauter dans la mer tous à la file. Le premier à sauter derrière son compagnon était dans la foule. Il n’était pas possible de les en empêcher. Vous savez en effet que c’est le naturel du mouton, de toujours suivre le premier, où qu’il aille. De plus Aristote dit au livre IX de l’Histoire des Animaux que c’est le plus sot et le plus inepte animal du monde. Le marchand, tout effrayé de voir devant ses yeux périr et se noyer ses moutons, s’efforçait de les en empêcher et de les retenir de toutes ses forces. Mais c’était en vain. Ils sautaient tous à la suite dans la mer, et y périssaient. Finalement il en prit un grand et fort par la toison sur le pont du bateau, s’imaginant ainsi le retenir, et sauver le reste en conséquence. Le mouton fut si puissant qu’il emporta en mer avec lui le marchand, qui fut noyé, de même que les moutons de Polyphème, le cyclope borgne, avaient jadis emporté hors de la caverne Ulysse et ses compagnons. Les autres bergers et marchands de moutons qui les tenaient les uns par les cornes, les autres par les pattes, les derniers par la toison connurent le même sort !
Panurge, à côté de la cuisine tenait un aviron en main, non pour aider les marchands de moutons, mais pour les empêcher de grimper sur le bateau, et d’échapper ainsi au naufrage, et il leur faisait un sermon très éloquent. […]
Une fois le bateau vidé du marchand et des moutons, Panurge demanda :
« Reste-t-il ici une seule âme moutonnière ? Où sont ceux de Thibault l’Agnelet ?
[...] Que t’en semble, frère Jean ?
— Tout est bien pour vous, mais vous auriez dû garder le paiement. L’argent serait
resté dans votre bourse.
— J’en ai eu pour mon argent, répondit Panurge. »
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